Arrêts de subventions, festivals annulés, projets suspendus… Le paysage culturel de la région nord, et en particulier le spectacle vivant, se déconstruit au rythme des restrictions budgétaires. Avec, en toile de fond, des enjeux politiques. Les annulations « Au vu des contraintes budgétaires, il est quasiment certain que toutes les manifestations festives ne pourront être maintenues. »La phrase est du maire PS de Wattrelos, Dominique Baert. Conséquence directe : le carnaval de la ville a été annulé cette année.
Tout comme le projet Art en Ternois qui devait être « la » grande nouveauté au château de Cercamp à Frévent avec une exposition permanente : « On espérait avoir davantage de subventions des collectivités, mais les budgets ne sont pas extensibles, raconte le co-propriétaire Serge Dufour. Le festival de Bray-Dunes a, lui, aussi été victime de restrictions financières : « Il faut faire des choix, justifie la maire Catherine Verlynde, qui souligne le désengagement des partenaires historiques (Région, Département…). Avec une nuance : le festival était aussi « en perte de vitesse ».
Même genre de constat pour Nord Magnetic – Bailleul, Hazebrouck, Poperinge (Belgique) – ambitieux festival (1,5 million de subvention) dont la deuxième édition prévu en 2016 n’aura pas lieu : « Ça n’avait pas bien marché, explique Françoise Polnecq, élue PS en charge de la culture au conseil général du Nord. Mais il fallait aussi faire des choix dans un contexte budgétaire restreint. »
Les projets suspendus Des salles de concert (dont une de 3 000 places), des studios d’enregistrement, des espaces de répétition… Le Pôle régional des musiques actuelles (PRMA) devait voir le jour à Aulnoye-Aymeries cette année. Sauf que ce projet porté par l’agglomération Maubeuge Val de Sambre (PS) a été officiellement « suspendu » l’été dernier… Il est en sursis. Idem pour le festival de métal, les Métallurgicales, à Denain : hausse des cachets, subvention et fréquentation en baisse. « Je pense qu’il n’aura pas lieu en juin, on va sans doute faire évoluer le concept, peut-être nous recentrer sur des artistes locaux voire nationaux », explique l’organisateur, M. Cotton.
Les structures jugées trop coûteuses. Dans la région, deux annonces ont fait du bruit : fin janvier, la majorité UDI-UM de Béthune a décidé d’arrêter de subventionner la programmation du théâtre Le Poche (55 000 € par an) qui, du coup, va s’arrêter en mars et le maire de Tourcoing a fait savoir début février que la ville ne verserait plus d’argent à l’Ideal, antenne du Théâtre du Nord, financé majoritairement par l’Etat et la Région. Les motifs ? À Béthune, on parle d’autres priorités tandis que Gérald Darmanin martèle qu’il préfère soutenir les structures culturelles « tourquennoises ». Le tout emballé dans un contexte de restrictions. (lire ci-contre).
Les baisses de subventions. Tourcoing, Roubaix, Valenciennes, Dunkerque… Les subventions aux associations culturelles baissent dans toute la région. À tel point que Fleur Pellerin, ministre de la Culture est venue signer début février à Cambrai le deuxième pacte culturel de France. Il engage les signataires à maintenir leurs budgets respectifs consacrés à la culture (pour l’État, il est égal en 2015 et il doit être revalorisé en 2016) dans les trois prochaines années. C’est dire si la tentation d’y toucher est répandue.
Une affaire de droite et de gauche?
Certes, l’ardoise (55 000 €) pesait sur les finances de la ville. Certes le théâtre ne ferme pas. Mais, clairement, la volonté d’arrêter la programmation du théâtre Le Poche à Béthune est aussi un choix politique : la majorité UDI-UMP ne cache pas qu’elle a « d’autres priorités » comme l’emploi, l’embauche de quatre policiers municipaux ou la baisse de 15 % de la part communale des impôts locaux. Et parmi les personnalités qui ont participé activement au mouvement « Touche pas à mon poche » on trouve quatre anciens adjoints à la culture… plutôt de gauche.
Idem à Tourcoing pour l’Idéal, l’antenne du Théâtre du Nord. Le centre dramatique national ne dépend pas de cette subvention municipale (76 000 €) qu’on veut lui retirer pour vivre puisqu’il est majoritairement soutenu par la Région (1.7 M€), l’État (1.6 M€) et la ville de Lille (505 000 €). Et le premier argument du maire UMP Gérald Darmanin est bien d’ordre financier puisqu’il pointe du doigt la baisse des dotations de l’État et la nécessité de faire des choix.
« On ne peut pas toujours faire de l’élitisme »
Mais l’Idéal représente aussi un symbole : il a été créé par les socialistes avec la volonté de décentraliser la culture. Et certains n’ont pas manqué de relever que le jeune loup UMP avait au même moment proposé d’accueillir dans sa ville l’élection – payante – de Miss France. Sachant qu’en plus de l’Idéal, il baisse de 7,5 % les subventions à des structures culturelles (le Fresnoy, le Festival de jazz, l’Atelier lyrique, le Grand Mix…). Béthune, Tourcoing, mais aussi Valenciennes et son maire UDI, qui baisse de 7 % ses subventions aux associations. Taper sur la culture serait-il de droite ?
D’un côté, le président du groupe UMP-UDI à la Région Philippe Rapeneau se fend d’une parole que l’on entend rarement à gauche : « On ne peut pas toujours faire de l’élitisme, surtout quand l’argent devient rare. » À Valenciennes, on rabote les subventions de toutes les associations alors qu’on a dépensé 150 000 euros pour un concert gratuit de Bob Sinclar le 14 juillet.
De l’autre, Valenciennes épargne la scène nationale le Phénix et sa programmation exigeante ; vous fâcherez tout rouge ces maires si vous leur dites qu’ils sont anti-culture ! Et surtout, toucher à ces lignes budgétaires n’est pas l’apanage de la droite. Dunkerque en est l’exemple : le nouveau maire, Patrick Vergriete, pas homme de droite, baisse aussi ses subventions aux associations. La Région a maintenu son budget culture mais Maubeuge capitale régionale de la culture n’a pas lieu. Et on se rappellera qu’elle a amputé son aide de 170 000 euros au théâtre du Nord il y a un an, sans que cela fasse d’ailleurs autant de bruit que la décision de Gérald Darmanin, devenue symbole de marqueurs politiques. Or, s’il existe, dans le rapport à la culture, des divergences historiques de fond qui persistent en partie, le principe de réalité financière actuel brouille un peu les lignes.
La cartocrise, la carte qui fait du bruit
Émilie Jersol, médiatrice culturelle au Boulon à Vieux-Condé, a créé une carte interactive où sont recensés les festivals, structures et associations culturelles supprimés. PHOTO STéPHANE MORTAGNE
Férue de culture, Emilie Jersol, 26 ans, regretterait presque de faire le buzz. Depuis qu’elle a mis en ligne en janvier sa cartocrise hébergée par la plateforme libre OpenStreetMap , la médiatrice culturelle au Boulon, le centre national des arts de la rue de Vieux-Condé a fait le tour des médias et son site est énormément partagé sur les réseaux sociaux.
Le principe : sur cette carte de France interactive sont recensés les festivals, structures et associations culturelles supprimés depuis les élections municipales de l’an dernier. « On me les signale par mail et je vérifie, notamment via les coupures de presse ». Elle constate : « Notre région n’est pas la plus touchée ». Le Sud-est par exemple l’est davantage. Souvent, en cause, des baisses de subventions, mais pas seulement. La carte comptait 48 points le 23 janvier, 123 le 10 février. « Malheureusement, elle sera toujours en construction… »