De Philippe Katerine à Christine & the Queens, et de IAM à Fauve, le fair, premier dispositif de soutien au démarrage de carrière et de professionnalisation en musiques actuelles, a vu défiler, depuis 1989, la fine fleur de la scène hexagonale des musiques actuelles. Le 23 janvier, coup d’envoi à Belfort de « Fair : le tour », la tournée emblématique réunissant des lauréats de la promotion 2015.
Le dispositif du fair existe depuis 1989, quelle en est l’origine, comment expliquez-vous sa longévité et son succès ?
En 1989, le ministère de la Culture et de la Communication, sur une proposition de Bruno Lion, conseiller de Jack Lang, a voulu créer un dispositif pour accompagner les nouveaux talents des musiques actuelles et y associer l’ensemble des sociétés civiles de la filière auquel un concours financier était demandé. Il n’existait en effet auparavant aucun dispositif de soutien propre aux musiques actuelles.
Une première sélection, comprenant notamment les Thugs ou les VRP, a vu le jour en 1990, puis une seconde avec Suprême NTM ou les têtes raides en 1991, IAM suivant dès 1992. Dès l’origine, les deux grosses têtes du hip-hop étaient donc présentes dans le dispositif. Le fair a aussi eu la chance d’être dirigé pendant vingt-cinq ans par Claude Guyot qui a porté le dispositif avec une incroyable force de persuasion. L’ensemble de la filière a suivi. Les professionnels ont compris que l’aide, par ricochet, allait bénéficier à toute la famille autour de l’artiste, producteur, éditeur, manager… la force du fair est également d’avoir su évoluer avec le temps. Nous disposons aujourd’hui d’un dispositif très complet qui permet de professionnaliser et d’accompagner au mieux les artistes. Le fair distingue quinze lauréats chaque année.
Comment s’opère la sélection ?
Nous organisons un appel à candidatures pendant deux mois. Le prochain aura lieu du 2 février au 31 mars. Nous demandons aux artistes de nous appeler, nous répondons à tout le monde, collectons le maximum d’informations pour savoir si le projet répond aux critères d’éligibilité. Si c’est le cas, nous demandons aux artistes de s’inscrire en ligne. En une quinzaine de pages, ils doivent établir la photographie la plus précise possible de leur projet. Nous recevons environ 400 dossiers chaque année et faisons une pré-sélection d’environ 150 projets qui sont soumis au comité artistique.
S’agissant des critères, sont-ils stricts ou y a-t-il une marge d’appréciation ?
Nous sommes souples pour certains d’entre eux. C’est le cas lorsqu’on décide par exemple de soutenir un artiste parce que l’on sent que c’est le moment alors que celui-ci n’a fait que huit concerts sur les dix demandés. Ou alors quand certains nous disent qu’ils ne sont pas inscrits à la SACEM mais que nous sommes certains qu’ils le feront s’ils sont pris. A l’inverse, il y a des critères sur lesquels nous sommes moins souples. Celui tenant à la présence d’un partenaire professionnel autour du projet par exemple. S’il n’y a personne d’extérieur au groupe avec qui discuter ou parler de stratégies, c’est compliqué. En réalité, nous regardons l’ensemble des critères. Nous avons récemment ajouté un critère lié à l’actualité. Nous souhaitons que les artistes nous communiquent le calendrier de leurs activités pendant l’année où ils sont lauréats. Nous leur demandons s’ils vont avoir un EP – ce format de CD entre l’album et le single –, un album ou une tournée. Nous mettons à leur disposition une boîte à outils, à eux ensuite d’être dans l’action pour profiter au maximum de l’aide que nous leur apportons. Nous avons des actions communes pour l’ensemble des artistes lauréats et nous faisons ensuite du cas par cas en fonction des problématiques de chacun. Le plus important, c’est d’accomplir cette mission d’intérêt général, d’être un partenaire de premier plan pour l’artiste sans avoir de vue économique sur le projet. Nous ne voyons pas le projet avec les yeux d’un producteur, d’un éditeur ou d’un tourneur qui considère logiquement le projet à travers le prisme de son métier. Nous voyons avant tout l’artiste au sein d’une filière en essayant de construire quelque chose avec lui.
Cette philosophie est forcément présente parmi les membres du comité artistique qui choisit les lauréats ?
Oui, d’ailleurs afin qu’ils suivent leurs coups de cœur et ne subissent aucune influence, nous leur faisons signer un document dans lequel ils s’engagent à taire leur présence à l’intérieur du comité. Ils sont généralement très fiers de faire partie de ce comité artistique. Je prends le temps de tous les rencontrer, pour leur expliquer l’état d’esprit du fair et leur demande de ne surtout pas faire entrer certains critères, certaines questions en ligne de compte – « dois-je choisir un artiste s’il est déjà connu de la filière professionnelle ? », « est-ce que ça va marcher ou pas ? » – et d’écouter leur seule sensibilité. Ils ont écouté 157 projets dans le cadre de la sélection de cette année. Nous demandons à chacun de choisir un lauréat, ils sont 15 dans le comité artistique, nous avons donc logiquement quinze lauréats.
« Je pense à un temps fort dédié aux jeunes créateurs pour mieux les accompagner, de la formation à l’insertion professionnelle » (Fleur Pellerin, vœux à la presse, 19 janvier 2015)
Le soutien couvre cinq axes – aide financière, soutien en communication, aide à la diffusion, aide à la formation, conseil en management – on pourrait penser que certains sont plus décisifs que d’autres – par exemple la tournée qui est très médiatisée – mais n’est-ce pas la conjugaison de l’ensemble des composantes qui fait la force du dispositif ?
L’objectif est de réfléchir aux problématiques des artistes en 2015 et d’y répondre de la façon la plus qualitative possible. La bourse accordée aux artistes est de ce point de vue précieuse. Si sur une tournée, certaines dates sont déficitaires, la bourse peut rembourser une partie du déficit de ces dates : jusqu’à 450 euros pour une date normale, 750 pour une date sur un festival. Le tourneur le sait et peut programmer une date à laquelle il n’aurait peut-être pas pensé sans cela. De même, grâce à la tournée « Fair : le tour », nous aidons les diffuseurs et les salles. Les salles du réseau SMAC – scènes de musiques actuelles – reçoivent ainsi une aide de 1000 euros sur les coûts de plateaux. En réalité, le fair est le seul dispositif qui aide des deux côtés, groupes et diffuseurs. Mais les aspects diffusion, communication, formation sont tout aussi importants. Nous voulons accompagner l’artiste dans tous les domaines.
Vous avez également un partenariat avec la plateforme de financement participatif Ulule ?
Aujourd’hui, de plus en plus d’artistes veulent maîtriser leur projet et être producteur, coéditeur… Avec Ulule, notre objectif est de faire de la création de contenus supplémentaires, d’être sur des petits projets de 2 à 3000 euros – faire un clip, un objet, un vinyle – et de proposer aux fans d’y participer. Nous disons aux groupes : montez votre projet avec Ulule, allez chercher les premiers euros auprès de vos proches pour atteindre la jauge de 500 euros et alors le Fair viendra abonder à hauteur de 500 euros. Généralement, cela créé un déclic, les gens se disent que le projet va aboutir.
La dimension internationale est également de plus en plus présente dans le dispositif du Fair ?
Nous travaillons avec l’Institut français depuis cinq ans. L’an dernier, nous avons envoyé 8 artistes dans 14 pays pour 64 concerts. Superpoze qui est un artiste électro a joué en Asie et en Amérique du sud, Fauve a joué aux Etats-Unis, Chassol a joué en Inde…à chaque fois, l’implication de l’Institut français est remarquable, et pour les artistes, ce sont de formidables expériences. Nous travaillons aussi depuis cette année avec le Bureau Export. Nous allons ainsi organiser un focus pour quatre ou cinq artistes pour lesquels nous pensons que c’est le moment de les pousser à l’international. Nous voulons notamment les positionner sur des grands festivals comme le « Great Escape » au Royaume-Uni, le « Reeperbahn » en Allemagne, « Eurosonic » au Pays-Bas. Beaucoup de programmateurs viennent faire leur marché pendant ces grands festivals.
Quelles sont les fiertés du Fair ?
Le plus beau aujourd’hui, c’est que les « anciens » sont toujours là, et comment ! Je pense à Miossec ou Philippe Katerine, lauréats en 1996, mais je pourrais tout aussi bien citer M, Louise Attaque, Dionysos. Nous venons d’ailleurs de mettre la dernière main à un projet avec Mathias Malzieu de Dionysos : les anciens du fair chantent les nouveaux et inversement. C’est une grande fierté de voir que les premiers lauréats du fair s’intéressent et veulent transmettre aux nouveaux. Le parrain de la promotion cette année est Gaëtan Roussel. A terme, je souhaite que les anciens lauréats du fair puissent intégrer le comité artistique, qu’ils choisissent en quelque sorte la relève. J’aime l’esprit « association des anciens » où l’on se sent appartenir à une même famille. Dans ce même esprit, nous allons organiser à la Cartonnerie de Reims du 4 au 8 mai un séminaire artistique où l’on va emmener une douzaine d’artistes du fair pour qu’ils travaillent ensemble.
Qu’est-ce qui caractérise la promotion de cette année ?
Pour beaucoup d’entre eux, ils se connaissent déjà et sont curieux de ce que font les autres. Je sens également une vraie envie d’apprendre, de comprendre et d’avancer. Ils sont très demandeurs de tout ce que nous leur proposons, ils savent qu’ils ont à leur côté un « œil bienveillant » qui n’a aucun intérêt financier. Ce sont des artistes qui savent déjà où ils veulent aller artistiquement. Il y a de très belles plumes, que ce soit chez Feu ! Chatterton, Baden Baden ou Radio Elvis. Cette nouvelle génération d’artistes est également très diplômée, elle pousse de plus en plus loin ses études, elle veut vivre de sa musique mais est parfaitement consciente que cela peut être compliqué et qu’à l’inverse les choses peuvent décoller du jour au lendemain. Ils savent que s’ils postent un titre sur internet, ils peuvent être immédiatement repérés, ce qui n’était pas le cas avant : soit on chantait dans la rue, soit on passait par une maison de disque. Aujourd’hui, on peut toucher un public sans avoir besoin de personne. C’est assez troublant. Le fair est financé par la filière professionnelle qui a beaucoup de choses à apporter à un groupe. Sur des « coups » comme ceux que je viens d’évoquer, toute la filière est pourtant court-circuitée, le groupe trouve directement son public avec internet. Mais un démarrage exponentiel peut très bien être suivi par une chute tout aussi rapide. La force du fair, c’est d’aider l’artiste à construire un projet sur la durée.
Source
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Que va vous apporter le fair ? Deux lauréats 2015 répondent
Radio Elvis : « Approfondir notre expérience de la scène »
La scène est très importante pour nous, autant dire que la participation à « Fair : le tour » va beaucoup nous apporter. Grâce au fair, nous avons également un parrain, Guillaume Depagne. Nous allons peut-être enregistrer notre prochain album sous son label. (Guillaume Depagne est le directeur de « Le Label » chez Pias)
Blind Digital Citizen : « Une valorisation internationale »
Nous sommes sur le point de partir en Algérie pour une série de concerts (cinq dates à Constantine, Annaba, Tlemcen, Oran et Alger). Le fair nous a mis en relation avec l’Institut Français, il nous a aussi aidés à investir dans du matériel pour peaufiner notre live