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Musique crowdfunding

À l’heure des réformes, celle du crowdfunding est en cours. En France, les montants récoltés ont triplé en un an et l’assouplissement annoncé du cadre législatif ouvre des perspectives pour renforcer cette croissance. Une opportunité qui ressemble à une roue de secours pour des acteurs culturels et des projets musicaux qui figurent au premier rang des collectes réussies sur les plateformes. Laculture info centre information de la culture et du spectacle vivant en europe.

À l’heure des réformes, celle du crowdfunding est en cours. En France, les montants récoltés ont triplé en un an et l’assouplissement annoncé du cadre législatif ouvre des perspectives pour renforcer cette croissance. Une opportunité qui ressemble à une roue de secours pour des acteurs culturels et des projets musicaux qui figurent au premier rang des collectes réussies sur les plateformes.Entre la fraîcheur qu’il apporte au marketing musical et les effets pervers de sa mécanique, tour d’horizon du financement participatif de la musique.

 Autant le dire : les mots ont changé, mais le financement participatif n’a rien de neuf, y compris en musique.

Combien de groupes de rock alternatif des années 80, ou d’organisateurs de soirées électro la décennie suivante, ont eu recours à des souscriptions ? L’autoproduction depuis qu’elle existe s’appuie dans l’ombre sur la solidarité des proches. Plus récemment, en 2008, La Route du rock a survécu à un déficit de 200 000 € grâce à un appel au don…
Ce qui est nouveau quand on parle de crowdfunding, c’est qu’il existe des plateformes identifiées et dont la visibilité, couplée à la viralité des outils web, permet de toucher plus de monde. En France, ces plateformes ont récolté près de 80 M€ [1] l’an dernier, trois fois plus qu’en 2012 et dix fois plus qu’il y a deux ans !

UN MODÈLE QUI BOULEVERSE L’ÉCONOMIE

En 2010, le modèle semblait pourtant avoir du plomb dans l’aile après la liquidation de Spidart et le redressement judiciaire de Sellaband. Ces deux services fonctionnaient sur le modèle du label participatif initié par My Major Company, seul rescapé de cette première génération de plateformes.
Aujourd’hui, le marché semble arriver à maturité. Les montants recueillis en 2013 à l’international sont estimés à 5,4 Md$ [2]. Les opérateurs se sont structurés et la seconde génération de plateformes a gagné en qualité et en savoir-faire, bénéficiant de l’avènement des réseaux sociaux pour faire croître leur visibilité et leur audience.

laculture info présente irma asso
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Des millions investis dans la musique
La croissance actuelle du financement participatif développe une nouvelle forme d’économie qui bouscule les marchés. Cela profite aux secteurs du social et de l’entrepreneuriat qui représentent la majorité des projets financés, la culture arrivant juste derrière.
Parmi les milieux artistiques, ce sont les acteurs de l’audiovisuel qui contribuent le plus à cette croissance (16 % des projets financés [3] dans le monde en 2012), l’effet de levier boostant principalement l’économie du documentaire et du court-métrage. Preuve de l’impact sur le cinéma indépendant : 10 % des films présentés au festival de Sundance 2013 ont bénéficié d’une souscription en ligne.

De son côté, la musique représente 10 % de projets financés à l’échelle mondiale [4] en 2012. En France, 18% des projets présentés sur Ulule sont musicaux (7,8 M€ ont été souscrits sur la plateforme en 2013 [5]), et son concurrent KissKissBankBank a collecté 2,2 M€ [6] en faveur de la musique depuis sa création en 2010. C’est donc à 7 chiffres avant la virgule que le montant du crowdfunding musical se joue.

Par défaut de financement
Des chiffres qui font rêver, mais des chiffres à gratter : sur KissKissBankBank, ce sont plus de 530 projets musicaux qui se partagent les dons, soit un montant moyen de collecte proche des 4 000 € pour un don moyen de 48 €. Autrement dit, une majorité de projets à petit budget.

Ce sont souvent des artistes en autoproduction, « mais nous avons aussi des labels, des organisateurs de spectacles et notamment des festivals qui sont de plus en plus présents » ajoute Mathieu Maire du Poset, directeur des projets d’Ulule. L’expérience d’InFiné en témoigne, label-organisateur de résidences qui a su lever 20 000 € pour son workshop dans la carrière du Normandoux l’été dernier (lire l’interview).
Les projets consistent essentiellement à produire une date ou un album/EP, parfois un clip ou à renouveler son stock de merchandising (comme l’ont fait les Blérots de R.A.V.E.L). Des side projects et des propositions plus originales pointent parfois le bout de leur nez (comme celle de la biographie du groupe Eiffel).

Ces projets n’apparaissent pas là par hasard. « Comme la plupart des petites structures, on manquait de trésorerie » explique Lisa Bélangeon, chargée de production des Blérots de R.A.V.E.L. Apprenant qu’un partenaire se désistait, InFiné a cherché sans réussite des financements et s’est retourné in extremis vers le crowdfunding… Témoignage d’une dérégulation et d’une paupérisation du marché de la musique, c’est bien par défaut de financement que ces projets postulent au crowdfunding.
En aval, le retour n’est pas sans conséquence : là où des professionnels s’engagent sur le moyen ou long terme dans l’accompagnement de projets, le financement participatif n’est qu’un one shot sans suivi. Pas sûr que la méthode soit profitable au développement de carrière d’artiste.

MENER CAMPAGNE

Dans ce business, il existe déjà des dizaines de plateformes de crowdfunding, très différentes selon le dispositif qu’elles appliquent. Certaines fonctionnent sur le mécanisme du don (et du « don contre don », dit reward based), d’autres sur celui du prêt (lending based) ou de la prise de participation (equity based). Autrement dit, des logiques participatives aux antipodes les unes des autres, le lending incluant remboursement (avec ou sans prêt), et l’equity relevant d’un investissement au fonctionnement (de l’entreprise) plutôt qu’au projet (entendu comme événementiel).
Si ces modèles peuvent être intéressants pour certaines entreprises, la plupart des projets musicaux sont aujourd’hui présentés sur des plateformes de « don contre don », c’est-à-dire avec une contrepartie en échange de la donation (KissKissBankBank, Ulule, Kickstarter, My Major Company, etc.).

laculture info présente irma asso
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Retrouvez en fin d’article un tableau des principales plateformes ouvertes aux projets musicaux
VPC : vendu par crowdfunding !
Les plateformes de don génèrent un quart des montants du crowdfunding en France (20 M€ [7]) et sont celles qui recueillent le plus de contributeurs et d’audience.
Pourtant, l’usage du terme de don est « trompeur » car « juridiquement, dès lors que vous donnez une contrepartie, il ne s’agit plus d’un don mais d’une vente » reconnaît la direction d’Ulule. Sans compter que les plateformes prennent une commission sur le transfert (entre 5 et 10 % en moyenne). Si le don est – on le comprend – vendeur, il n’en reste pas moins qu’il s’agit bel et bien de vendre son projet sur la plateforme. Et à ce jeu, tous les projets ne sont pas adaptés au financement participatif.

Sur les plateformes généralistes, certains sont invités à mûrir un peu avant d’envisager une publication. Sur des plateformes plus spécialisées comme Koalitick, service de billetterie participative, l’équipe « garde un œil sur la sélection des projets » et en recale parfois lorsqu’elle estime qu’ils ne sont viables ni pour le porteur ni pour elle-même.
En somme : ce n’est pas en jetant un projet à la va-vite dans l’arène des donateurs qu’il marchera. Il doit être pensé et adapté au financement participatif. Comme le disait Adrien Aumont, cofondateur de KissKissBankBank, au MaMA en octobre dernier : « Le crowdfunding, ce n’est pas automatique ! » [8]

Contreparties et budget
Le projet doit récolter la sympathie du donateur qui s’y associera, se sentant partie prenante de l’opération. Mais, puisqu’il s’agit de vendre, la grille des contreparties doit être bien réfléchie. Les plateformes conseillent de valoriser les contreparties à leurs justes valeurs (celle du marché) en y ajoutant des cadeaux symboliques (recevoir un bisou, partager un repas, etc.) pour renforcer l’adhésion au projet.

Nicolas Antoine, auteur d’Inferno Telegraph : biographie d’Eiffel, ouvrage édité grâce au crowdfunding, y va de son conseil : « Commencer avec quelque chose de basique, un objectif financier abordable et des idées derrière la tête pour en proposer plus. Il faut bien réfléchir aux différents niveaux de contributions que l’on peut demander et aux contreparties qui vont avec. »

Et puisque c’est une affaire de finance, le budget en est la clé. Il est important de bien le construire car il équivaut à l’objectif financier fixé à la collecte, le seuil du « tout ou rien ». S’il est atteint, le projet est financé ; en cas d’échec, les donateurs sont remboursés.
« Nous accompagnons le porteur en l’alertant sur la façon de calculer le budget » précise le directeur des projets d’Ulule, « c’est-à-dire que son calcul doit prendre en compte toutes les données : la commission de la plateforme, la TVA qui va s’appliquer, le coût des contreparties, le coût de l’envoi, etc. » (lire l’interview). Pour conseiller les porteurs, la plateforme a d’ailleurs publié sur son site des FAQ assez pointues sur le traitement comptable et fiscal des dons.
Reste alors à déterminer la durée de la collecte : 30 jours pour le dynamisme et l’effet d’urgence ? 90 jours pour prendre le temps de faire monter la collecte ? Plusieurs formats existent selon les plateformes…

Les clés de la réussite : communauté et viralité
Ensuite, vient le temps de la campagne et celui d’un travail de communication considéré comme stimulant et chronophage par ceux que nous avons interroger : « On a tissé une vraie toile d’araignée avec tous les réseaux qui gravitaient autour de l’événement et du label. C’était très intense et porteur. Bourré d’énergie ! » Responsable de la collecte pour le workshop InFiné, Marion Delemazure détaille : « À la fois, il a fallu faire appel à tout notre réseau professionnel, amical et familial, et il fallait aussi organiser des vrais relais de communication auprès des médias et des blogs, en envoyant des newsletters ou en postant des rapports journaliers sur les réseaux sociaux. »
Avis partagé par Romain Bard, chargé de mission pour l’agence Le Transfo – Auvergne qui a suivi certains projets musicaux dans le cadre de l’opération Auvergne nouveau monde (lire l’interview) : « Il faut relancer avec le bon ton, le bon message et au bon moment pour ne pas fatiguer les gens non plus. »

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Pour agir de manière efficace et coordonnée, les plateformes disposent de méthodes éprouvées.
Le porteur est invité à mettre en place un rétroplanning de ses actions et à définir plusieurs étapes dans sa campagne. La première consiste à informer de manière personnalisée son cercle d’amis et de connaissances pour les inciter à contribuer financièrement au projet. La seconde à faire que les donateurs deviennent des relais et des prescripteurs de sa campagne sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux. Enfin, la dernière étape est de contacter les médias spécialisés en ligne et les blogs pour s’assurer une couverture web au-delà de son cercle de connaissance. Tout cela entrecoupé de relances diverses, de teaser vidéo et de toutes bonnes idées pour animer la campagne et la communauté qui la suit.

Suite à l’intervention de KissKissBankBank au MaMA, un spectateur lançait : « En fait, le crowdfunding, ce n’est pas fait pour les artistes asociaux ? »
Pour dire vrai, c’est exact. Le sésame du crowdfunding est la fan base du porteur de projet. En Auvergne, Romain Bard l’a constaté à travers deux projets d’autoproduction menés en parallèle : « L’un, Kandide, est un groupe qui fait de la chanson et qui tourne depuis longtemps dans la région. C’est un groupe qui ne sort pas beaucoup du territoire mais, une année, les statistiques avaient montré que c’était le groupe qui tournait le plus en Auvergne ! Bref, même s’il n’est que local, leur public est ultra fidèle. Tandis que le second, Adam Wood, son projet est plus récent et il n’avait sorti qu’un EP jusque-là. Résultat ? Dans le premier cas, la collecte a été bouclée en 15 jours, et dans le second, il a « ramé » jusqu’au bout pour réunir la somme. Quand tu n’as que peu ou pas de réseau, honnêtement, c’est plus compliqué. »

DEMAIN…

Des plateformes de plus en plus spécialisées ?
Les sommes collectées ont triplé en France l’an dernier et nul ne sait jusqu’où le consentement du public à « donner » peut aller… ou s’il s’essoufflera face aux sollicitations de plus en plus nombreuses.
Un constat plus certain est que le marché s’organise à travers une diversité de plateformes de plus en plus spécialisées, permettant d’offrir des services adaptés à des projets ciblés. Comme dans l’édition (Bookly, Bibliocratie), la BD (Sandawe), le jeu vidéo (Gambitious) ou l’audiovisuel (Touscoprod). C’est également le cas avec Koalitick, plateforme « à la croisée du crowdfunding et de la billetterie en ligne » qui travaille avec un réseau de salles pour trouver des dates aux porteurs de projets (lire l’interview de Romain Guillot).
Autre spécialité pour la jeune plateforme Proarti, centrée sur le champ artistique et le mécénat culturel. Soutenue par un fonds de dotation, elle expertise les projets qui peuvent prétendre au régime du mécénat, dispositif qui permet d’inclure dans les contreparties une défiscalisation du don (lire l’interview de Marie Tretiakow).

Évolution législative : une opportunité pour les start-up ?
La ministre Fleur Pellerin a annoncé de nouvelles mesures pour faire de la France « une place de référence pour le crowdfunding dans l’Europe et dans le monde » [9].
Ces mesures ne concernent pas le don mais les modèles du lending (prêt / Babyloan, Hello Merci, FriendsClear…) et de l’equity (prise de capital / Wiseed, AngelList, SmartAngels…) qui ont levé respectivement 48 M€ et 10 M€ en France en 2013 [10]. Ces types de plateformes vont être dorénavant encadrées en toute transparence par la création de statuts spécifiques, l’idée étant d’établir un climat de confiance pour faciliter les investissements.

Les mesures concernent également les porteurs de projet.
« Jusqu’à présent, seules les sociétés anonymes pouvaient proposer aux investisseurs des parts sociales. Mais bientôt, les sociétés par actions simplifiées pourront également le faire, ce qui signifie que le mécanisme sera ouvert aux très jeunes entreprises » nous décrypte l’avocat maître Burel (lire l’interview).
De quoi intéresser les start-up de la musique ? Face au besoin en développement et devant la grise mine du banquier, c’est une alternative qui permettrait de lever jusqu’à 1 M€ en échange de prise de participation…

Source
Mathias MILLIARD