Il est de bon ton de fustiger la critique revêche ou frivole, entichée de nouvauté ou au contraire en retard d’un train esthétique, incapable de remplir les salles et de reconnaître les vrais talents. Que serait pourtant la création sans cet aiguillon? Plus difficile que ne le prétend le mot de Destouche, son exercice devient de plus en plus délicat. Son espace se restreint comme peau de chagrin dans la presse, alors qu’elle doit embrasser des œuvres aux formes et provenances de plus en plus diverses. Il n’est pas sûr que ses nouveaux terrains d’extensions, sur les réseaux d’Internet ou dans les séminaires universitaires, lui suffisent pour remplir le rôle qu’elle s’assigne : penser le théâtre et les arts parents, mettre les enjeux de la scène en débat.
Alors qu’elle s’est déployée sur un large spectre, embrassant des genres variés, du compte-rendu à l’expertise, s’installant sur les supports les plus divers, des revues de référence aux réseaux sociaux, étendant enfin son autorité de la presse à l’université, la critique parait avoir perdu un peu de son tranchant depuis la fin des années 1970. Bien que leurs échos nous parviennent à travers quantité de travaux historiques, les controverses doctrinales qui avaient agité les époques antérieures semblent en veilleuse au début du XXIe siècle, comme si les écoles et les chapelles pouvaient désormais cohabiter dans la concorde d’un colloque académique.
Reconverties dans le domaine esthétique, les positions politiques s’affrontent à bas bruit, oublieuses des clameurs des cafés où se discutaient le caractère plus ou moins révolutionnaire d’un roman, d’un film, d’une fresque ou d’un spectacle. Les polémiques suscitées par des mouvements artistiques et des œuvres emblématiques sont elles-mêmes assourdies par rapport aux débats qui ont rythmé l’histoire des arts, de la querelle des Anciens et des Modernes aux provocations de Cobra, du Manifeste des Nouveaux Réalistes aux revendications de la nouvelle vague ou du théâtre alternatif. En sifflant la fin de la course des avant-gardes, la critique aurait-elle cédé le terrain de l’analyse à un éclectisme de bon aloi, hospitalier à toutes formes, ou bien s’est-elle simplement libérée de l’emprise des grands corps de doctrine qui l’étreignaient hier – marxisme, structuralisme ou freudisme – afin d’écrire un texte plus sensible aux variations de la perception ?
Le projet « La critique comme création » vise donc à mieux saisir les objets, les outils, les thèmes, les figures, les protocoles, les concepts qui s’imposent à elle, à partir des disciplines artistiques et intellectuelles auxquelles elle s’alimente. Pour ce faire, la plus grande attention sera accordée aux contradictions que rencontre la critique actuelle, suivant qu’elle aborde des œuvres, des dispositifs, des appareils ou des processus ; qu’elle ausculte des pièces relevant d’une spécialité reconnue ou des réalisations procédant d’une combinaison de techniques ; qu’elle désire se montrer à l’écoute des ateliers et des studios ou qu’elle souhaite vérifier la cohérence de ses systèmes ; qu’elle se veut savante ou vouée à la vulgarisation ; qu’elle obéit enfin aux exigences de la connaissance ou de la communication.
Avec Robert Abirached, écrivain, professeur émérite d’études théâtrales à l’Université Paris Ouest Nanterre, ancien directeur du Théâtre et des Spectacles, Alice Carré, critique à Âgon,
Fabienne Darge, critique au Monde,
Marie-José Sirach, critique à L’Humanité, vice-‐présidente du Syndicat de la critique de Théâtre, Musique et Danse,
Emmanuel Wallon, professeur de sociologie politique à l’Université Paris Ouest Nanterre.
Débat animé par Antoine de Baecque, critique et professeur d’études cinématographiques à l’École normale supérieure (Ulm).
Avec le concours de l’équipe de recherche « Histoire des arts et des représentations » (HAR) de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défenseet de ses partenaires du Labex, Arts-‐H2H, dans le cadre du projet » La critique comme création « .
Pour un état des lieux de la critique théâtrale
Rencontre publique au Théâtre de la Ville
(Café des Oeillets)
Mercredi 8 avril 2015
de 17h30 à 19h30
Entrée libre
Autour de la parution de l’ouvrage Scènes de la critique, les mutations de la critique dans les arts de la scène.
Sous la direction d’Emmanuel Wallon