Alors que la crise perdure, la DGMIC (la direction générale des médias et des industries culturelles) vient de lancer un nouveau plan en direction des petites entreprises du secteur de la musique enregistrée. Impulsé par l’urgence du sauvetage, ce dispositif s’insère dans un processus d’intervention qui s’oriente désormais vers le soutien à la mutation.
Le 25 septembre, c’était la date limite pour le dépôt des dossiers du Plan de soutien à l’innovation et à la transition numérique pour le secteur de la musique enregistrée mis en place par la DGMIC (Direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la Culture et de la Communication). Pour sa directrice, Laurence Franceschini, la volonté est claire : « nous souhaitons orienter les entreprises vers la structuration, le développement, l’innovation, et établir des ponts avec ce qui peut être fait du côté du ministère chargé de l’Économie numérique avec la French Tech, avec laquelle nous sommes d’ailleurs en contact ».
Mais cette nouvelle intervention est à replacer dans une logique à l’œuvre depuis quelques années déjà : « ces trois dernières années, la DGMIC a instauré des plans d’aide structurels, à l’adresse en particulier des labels TPE, des services de musique en ligne et des commerces culturels, afin de répondre à des problématiques liées aux aléas du marché ».
En attendant la communication des résultats après l’instruction des demandes, nous avons saisi l’occasion pour faire un bilan de l’édition 2013, interroger des bénéficiaires et nous pencher sur les nouveautés de ce plan singulier dans l’écosystème musical.
D’une réponse à l’urgence à la formalisation d’un plan
Novembre 2011, le distributeur Discograph est mis en redressement judiciaire. Les entreprises de production phonographique sous contrat avec ce dernier, déjà fragiles pour la plupart, se retrouvent en grande difficulté. Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture et de la Communication, annonce en janvier 2012 l’instauration d’une aide exceptionnelle. Le plan d’urgence en faveur des entreprises de production phonographique entre en vigueur quelques mois plus tard. L’aide s’élève à 40 % du montant total de la créance, avec un plafond de 48 000 euros.
À cette époque on est encore en pleine période de préfiguration du Centre national de la musique, basée sur le rapport Diversité musicale à l’ère numérique qui vient de pointer les limites de l’efficacité des dispositifs de soutien existants : insuffisance des ressources et émiettement des guichets. Le projet d’établissement public vise alors à rationaliser et à renforcer ces dispositifs en mobilisant des ressources nouvelles. Pour la musique enregistrée, trois niveaux d’aide avaient été imaginés : un guichet d’aides automatiques pour répondre à des logiques industrielles, un volet axé sur les indépendants, et enfin un troisième niveau, pour les acteurs les plus petits et les plus fragiles.
Juin 2012 : nouvelle majorité présidentielle, nouvelle ministre de la Culture, mais besoins toujours réels. Le pôle musique de la DGMIC continue donc de réfléchir aux nouvelles formes de soutien imaginables. Il se penche sur ce troisième niveau, fait de petites TPE et de PME. De fait, les TPE sont majoritaires dans l’écosystème de la musique. En 2010, le CEP Disque montrait qu’elles représentaient 94 % des entreprises du secteur. Après le plan d’urgence, une nouvelle intervention voit le jour en fin d’année 2013. Elle s’adresse donc à trois catégories d’acteurs : les labels TPE, les plateformes numériques et les disquaires. Dans un entretien publié sur le site de l’Irma, Sarah Brunet, responsable du pôle Musique à la DGMIC expliquait alors : « ces trois catégories d’acteurs nous semblent être en effet les plus fragilisés et ceux qui ont le moins accès aux systèmes d’aide existants, qu’ils soient publics ou privés, alors même qu’ils sont des maillons indispensables à la défense de la diversité culturelle ».
Plan 2013 : bilan d’une expérimentation
Complétant le Plan disquaires (Calif), ce deuxième exercice a donc visé deux catégories d’acteurs : labels et plateformes. Côté labels, 39 dossiers ont été acceptés sur les 52 reçus. Le montant moyen demandé a été de 8 299 euros, pour une aide moyenne attribuée de 8 134 euros. Côté plateformes, 6 dossiers ont été acceptés sur 16 reçus. Le montant moyen d’aide demandée s’est élevé à 83 751 euros, pour une aide moyenne attribuée de 50 000 euros.
La mise en place du deuxième exercice n’a pas manqué de faire réagir les acteurs de l’écosystème musical. Si la volonté de créer un nouveau dispositif de soutien est saluée, celui-ci est jugé comme apparaissant sans commune mesure avec les besoins réels. Pour l’Upfi, le constat est cinglant : une enveloppe globale dérisoire qui n’est absolument pas à la hauteur des graves difficultés d’un grand nombre de labels indépendants. Et le syndicat des producteurs phonographiques indépendants de demander la mise en place d’un plan d’aide en faveur de l’ensemble des PME du secteur de la production phonographique abondé à hauteur de 10 millions d’euros.
À l’étude des dossiers, la première chose remarquable, c’est la diversité des projets soumis et validés : du soutien à l’export pour les labels Deaf Rock Records (promotion et pressage pour l’Allemagne) et Bonsaï music (traduction des contenus de présentation du catalogue à destination des plateformes étrangères) au développement informatique pour Evergig ou Mirozoo, en passant par le soutien à la diversification d’activité pour Les Disques Entreprise ou de l’aide au booking pour Victorie music. D’autres types de dépenses ont aussi été prises en compte : développement de players, achats de serveurs informatiques pour une double sauvegarde de bandes master… Benoît Trégouet, des Disques Entreprise, détaille l’utilisation de l’enveloppe reçue : « nous avons obtenu un peu moins de 10 000 euros, fléchés sur l’achat d’ordinateurs et de logiciels de production type Pro Tools. C’était donc pour nous une double entrée : soutien à l’équipement pour le label, et soutien au modèle économique, en renforçant la diversification d’activité. »
Au-delà du financement de projets d’investissement, plusieurs bénéficiaires mettent aussi en avant deux aspects importants de cette aide. Le premier, c’est le soulagement apporté en termes de trésorerie. « Le déblocage des fonds s’est fait rapidement, ce qui a permis aussi de régler un problème de trésorerie. (…) La demande portait sur le développement de notre plateforme. L’aide a donc permis de soutenir le développement, qui était déjà entamé, ainsi que de renforcer les aspects de contact avec le public, marketing et communication », explique Patrick Fabre, créateur de la plateforme de streaming jeune public Mirozoo.
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Une production Victorie music
Beaucoup de structures en ont également profité pour soumettre des projets en suspens ou dormants. Cela a aussi pu créer un effet d’aubaine : « cela nous a tout d’abord permis d’être un peu moins serrés en trésorerie, et de dégager du temps. On s’est retrouvés plus à l’aise que d’habitude, alors cela nous a décidés à investir », détaille ainsi Éric Jiroux de Victorie music. Une petite distinction semble toutefois s’opérer entre les deux catégories de bénéficiaires sur le processus. Si les labels, habitués aux aides à la production ont pu trouver le dossier conséquent à remplir, les plateformes, peut-être plus habituées aux dossiers plus techniques de levées de fonds ou emprunts bancaires, saluent la souplesse du dispositif. « En démarrage de startup, les business plans sont toujours coupés au cordeau. Et bénéficier d’une aide comme celle de la DGMIC, dont le process, bien qu’exigeant, était peu contraignant a été un vrai plus. Pour des dossiers d’aides européennes, cela peut mobiliser une ou plusieurs personnes pendant deux semaines… Et puis la rapidité de la réponse a été très appréciable. C’est une temporalité qui correspond à celle d’un entrepreneur (…) Cela a tout de même accéléré de 3 mois notre mise sur le marché ! », souligne ainsi Arthur Dagard, fondateur de la plateforme Evergig.
Les bénéficiaires ont dans leur majorité salué la volonté d’aller vers d’autres formes de soutien. Cependant, quelques questions subsistent. « Pour une structure comme Les Disques Entreprise, qui investit, c’est une très bonne chose. Sur le nouveau plan, le fléchage est très axé sur le numérique. La question que je me pose est la suivante : est-ce à nous, producteurs, de porter un effort d’innovation technologique ? » s’interroge ainsi Benoît Trégouet. De même, pour plusieurs demandeurs, cette initiative appelle à penser une gamme plus élargie de types de soutien.
2014, la confirmation des objectifs
Historiquement, les systèmes d’aide se sont structurés, dans le secteur musical, sur de l’aide à la production. Mais cette année, le troisième exercice du plan réaffirme, sur le fond comme sur la forme, la volonté de la DGMIC d’aller vers du soutien pur à l’investissement. Comme l’explique Laurence Franceschini, « nous avons repensé en profondeur le plan, en choisissant de soutenir les investissements structurels. Ce n’est pas une aide à la production. Il en existe déjà dans l’écosystème musical, il fallait donc éviter d’être redondant. Notre objectif est de proposer une aide qui complète les dispositifs existants. »
Cette orientation se traduit dans les critères d’éligibilité du plan 2014. Pour le volet plateforme, le projet doit permettre le développement ou l’adaptation du service et présenter un caractère innovant du fait des technologies utilisées, des usages proposés ou du modèle économique présenté. Côté labels, sont éligibles les projets permettant la structuration, le développement ou l’adaptation de l’entreprise à l’environnement numérique. Et Laurence Franceschini de poursuivre : « nous sommes bien conscients que ce plan de soutien à l’innovation est quelque chose d’assez nouveau, sur le fond comme sur la forme. Les entreprises du secteur n’y sont pas forcément habituées. Y répondre nécessite de réfléchir stratégiquement à l’évolution de son activité sur les deux prochaines années : quels aménagements structurels peuvent être réalisés pour que la gestion quotidienne de l’activité soit rendue plus facile, comment, le cas échéant, adapter la structure pour franchir un cap ? »
Pour expliquer aux bénéficiaires potentiels la façon dont ceux-ci pouvaient s’approprier ce plan, un effort de communication directe a également été mis en œuvre. Outre la disponibilité des équipes du bureau musique de la DGMIC qui témoignent avoir été très sollicitées pour répondre aux questions, le plan a par exemple été présenté au Mila à Paris en septembre. Une trentaine de professionnels ont ainsi pu poser leurs questions, et échanger directement pour préciser certains points, comme l’exclusion du financement d’embauches, le resserrement sur les plateformes BtoC, la prise en compte de l’innovation sociale (mais pas sur des projets de mutualisation qui posent le problème de l’identification du bénéficiaire), la possibilité d’émarger sur des projets R&D ou sur le développement à l’international (promotion et marketing digital à l’étranger par exemple) ; ou encore, les délais d’investissement qui peuvent s’étaler, selon la cohérence du projet, sur un an à un an et demi.
Un plan par défaut ou les prémisses d’un soutien plus large ?
Le soutien à l’investissement répond à d’autres logiques que l’aide à la production. Sans balayer ou remplacer la nécessité de cette dernière, il vient se positionner sur d’autres besoins. S’inscrire dans ce type de dispositif nécessite de se projeter, de penser en termes de développement… pour Éric Jiroux, « si d’un seul coup, ce type d’aide se généralisait, se pourrait être très intéressant. Cela nous permettrait de bénéficier de ressources supplémentaires, et pouvoir ainsi penser plus précisément en termes de développement, de projet ou d’équipe. Cela aiderait aussi à nous projeter. C’est un bon complément à ce qui existe déjà ».
La démarche est différente, les dossiers ne se font pas de la même manière, les critères diffèrent et les pièces demandées ne sont pas forcément les mêmes. Cela oblige aussi les demandeurs à structurer leur activité, pour rentrer dans les clous. « Abaisser l’exigence sur les dispositifs d’aide n’est pas forcément souhaitable pour le secteur. L’idée n’est surtout pas d’être dans la perfusion, cela ne règle pas les problèmes de fond, quelle que soit la situation générale, croissance ou crise. La crise fait ressortir des problèmes de façon saillante et plus douloureuse, mais ces difficultés de structuration préexistaient », précise Laurence Franceschini.
Mais c’est aussi un changement de perception du côté des pouvoirs publics, pour dépasser la simple logique de distribution d’argent, et renforcer le caractère structurant de l’action publique. « c’est aussi pour cela que nous avons souhaité un plan de soutien « double » : une aide financière en premier lieu, certes, mais celle-ci est accompagnée d’une aide en conseil, qui sera assurée par l’Irma pendant un an. En effet, ce plan n’a pas été élaboré comme soutien à la trésorerie, mais avant tout comme un outil de régulation, participant d’une professionnalisation des acteurs », poursuit la directrice générale. Et c’est sur cette voie, mixant aide financière et accompagnement, que la DGMIC entend inscrire son action dans les années à venir.
En l’absence d’un outil de filière dédié, la construction de l’intervention du ministère sur le champ économique est une construction fragile et réactive. Elle se déploie en cherchant à s’insérer en cohérence avec d’autres dispositifs. Du point de vue des entreprises, la palette ne cesse de s’élargir en multipliant les angles (Ifcic, crédit d’impôt…). Les offres professionnelles évoluent aussi en se réorientant sur des objectifs économiques, notamment au FCM, qui prépare actuellement une réforme d’ensemble sur ses programmes.
De la même manière que, dans les années 90, la montée en charge des divisions culturelles des SPRD a développé une ingénierie des aides basée sur l’angle artistique et l’aide au projet, l’installation de la crise réoriente la réflexion sur des objectifs économiques visant la structuration des entreprises et un impact sur l’organisation de la filière elle-même. La mise en œuvre des guichets adéquats impose de coller au plus près de la réalité des entreprises, y compris en défrichant avec elles de nouveaux terrains solidifiant la mutation pour s’adapter et se développer dans l’ère numérique.
Bénéficiaire de l’aide en 2013, Pierre Darmon, fondateur du label Bonsaï music, conclut : « cette aide, on peut la critiquer, mais elle a au moins un mérite, c’est d’exister sur son principe. La filière musicale, contrairement à d’autres industries culturelles, n’est pas suffisamment aidée au regard du poids qu’elle représente. Cette aide consentie par le ministère commence à pointer la nécessité de soutenir la musique à un niveau équivalent aux autres industries culturelles. C’est un point de démarrage très positif. »
Dossier réalisé par Romain Bigay